En pente douce
Lisbonne change. Sous la douceur apparente de son climat et de sa lumière, la ville se transforme : les expatriés affluent, les loyers s’envolent, les habitants des quartiers populaires voient leurs repères s’effriter. Ce glissement silencieux, cette perte d’équilibre, m’ont rappelé un sentiment que je porte en moi depuis longtemps : l’intranquillité.
Fernando Pessoa en faisait l’écho dans son Livre de l’intranquillité, cette œuvre où tout vacille, où la conscience observe sans parvenir à se fixer. L’intranquillité n’a pas de définition claire : c’est un état intérieur, à la fois lucide et instable, qui naît quand le monde autour de soi change trop vite. On y perçoit la beauté et la fragilité mêlées des choses qui disparaissent.
Cet état m’accompagne depuis longtemps, depuis la disparition de mon père, il y a trente ans, et plus encore depuis celle de ma mère, il y a quatre ans. Comme si, soudain, tout pouvait s’effacer du jour au lendemain. Comme si les choses qui me rassuraient hier pouvaient demain m’effrayer.
Un psychologue me disait un jour que face à la peur ou à la colère, deux réactions dominent : l’attaque ou la fuite. J’ai choisi la fuite, peut-être par facilité, sans doute par instinct. Mais cette fuite, je l’ai transformée en regard.
Cette série est née de cette errance, à la fois géographique et intérieure. À travers Lisbonne, j’ai accepté de laisser affleurer ce sentiment d’intranquillité et de le traduire en images.
Chaque photographie devient une projection de mes émotions, un miroir dans lequel elles se reflètent avant de revenir vers moi, apaisées. À chaque cliché, je m’éloigne un peu plus de ce poids enfoui depuis tant d’années, comme si l’acte de photographier me permettait, enfin, de me libérer.